Chaque jour, celui qui lit les actualités liées à l’écologie peut constater à quel point la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes sont reliées. Les preuves en sont multiples, citons quelques exemples à titre d’illustration. Pour une vision plus exhaustive, j’invite le lecteur à se référer à la très belle enquête de Marie-Monique Robin, « La fabrique des pandémies ».
D’abord, remarquons que les agents pathogènes évoluent dans un terrain génétique continu entre l’humain, et les animaux domestiques et sauvages. En effet, nous partageons 99 % de nos gènes avec les grands singes, et 95 % avec les cochons. C’est à cause de cette proximité biologique que certaines maladies peuvent passer de l’Homme vers les animaux, ou des animaux vers l’Homme. Par exemple, on sait que la brucellose dont peuvent être atteints des animaux d’élevage est transmissible à l’Homme qui les fréquente ou en consomme les produits laitiers crus. Ainsi, dans de nombreux endroits du monde, les éleveurs ont plus de risques de développer certaines maladies infectieuses. Cette possible transmission d’un pathogène animal vers l’Homme est à l’origine de l’émergence régulière de nouvelles maladies humaines, comme le VIH, Ebola, la grippe H1N1 et, probablement, la Covid-19.
Considérons ensuite le problème de l’antibiorésistance. Ce phénomène, qui décrit la capacité développée par certaines bactéries à résister à un ou plusieurs traitements antibiotiques, est un phénomène naturel dû à la pression de sélection opérée par les antibiotiques sur les bactéries. En d’autres termes, c’est l’exposition prolongée ou répétée à un même antibiotique qui sélectionne les souches de bactéries résistantes, leur permettant, in fine, de devenir majoritaires. L’émergence et la multiplication de bactéries résistantes constitue aujourd’hui un réel danger pour la santé humaine et animale, menaçant de remettre en cause des progrès médicaux fondamentaux réalisés depuis la seconde guerre mondiale. Or, on sait qu’au-delà de l’utilisation excessive d’antibiotiques chez l’homme, c’est leur utilisation massive en prophylaxie dans l’élevage intensif qui est en bonne partie responsable de développement de l’antibiorésistance. Ainsi, en 2012, une étude rapporte la présence de gènes de résistance à la colistine chez certaines bactéries intestinales d’habitants d’un village du Laos, alors que cet antibiotique n’est jamais utilisé en médecine humaine mais uniquement en médecine animale (Olaitan et al., 2015). Ces gènes de résistance identifiés auraient ainsi émergés chez des bactéries porcines, avant de migrer ensuite vers des bactéries humaines. Plus tard, en 2016, les auteurs d’une nouvelle publication sur le sujet estimaient que ces gènes étaient désormais présents dans le monde entier, après seulement quatre années, sous l’influence des intenses échanges internationaux (Olaitan et al., 2016).
On sait par ailleurs que le développement de l’antibiorésistance est influencée par l’environnement. Il a été montré par exemple que des températures saisonnières plus chaudes augmentaient la virulence de certaines infections bactériennes dans des élevages aquatiques, augmentant la mortalité des poissons. Par conséquent, l’augmentation des températures entraînent généralement une augmentation de l’utilisation des antibiotiques (dont 80 % sont dissous dans l’eau environnante), conduisant inévitablement à une augmentation du phénomène d’antibiorésistance.
Des chaleurs importantes, dues aux changements climatiques, ont aussi été responsables de l’infection de dizaines de personnes et de la mort d’un enfant de 12 ans – ainsi que 2300 rennes – par la maladie du charbon, en 2016 en Sibérie. En effet, cette année-là, la fonte du permafrost aurait causé la décongélation d’un cadavre de renne infecté, libérant dans l’eau des spores de l’anthrax. D’autres histoires de ce type sont à craindre, avec l’enregistrement régulier de températures anormalement élevées.
Enfin, les changements climatiques engendrent aussi la modification de la distribution des arthropodes vecteurs de maladies, tels que les moustiques et les tiques par exemple, mais aussi de leurs capacités à transmettre des maladies. C’est ainsi qu’un premier cas de Dengue a déjà été identifié dans le sud de la France. Il a également été démontré une migration progressive vers le Nord d’autres maladies vectorielles telles que l’encéphalite à tiques, la maladie de Lyme, la maladie de la langue bleue et la fasciolose.
Ainsi, il existe une forte interdépendance entre la santé humaine, celle des animaux et l’environnement. C’est ce que décrit le concept de « One health » – que l’on pourrait traduire en français par « Une seule santé » – et qui propose de rapprocher et faire collaborer médecine humaine et médecine animale. Jakob Zinnstag fut le premier scientifique à utiliser ce terme qui, en 2004, donna son titre à la conférence « One world, one health », organisée à New York. En effet, au début des années 2000, la succession des épidémies de maladies d’origine animale transmissibles à l’homme – aussi appelées maladies zoonotiques ou zoonoses -, telles que la grippe H5N1, Ebola ou le SARS, soulignait la pertinence du concept de « One health ». Cette conférence internationale appelait alors à « briser les barrières entre les agences, les individus, les spécialités et les secteurs » pour développer « des approches interdisciplinaires et transversales » dans le but de « gagner les batailles médicales du 21ème siècle tout en assurant l’intégrité biologique de la Terre pour les générations futures ». Rien que ça. Il s’agit donc de développer une vision écologique de la santé, c’est-à-dire une vision qui ne se contente pas de soigner un patient ou un animal, mais qui essaie de comprendre d’où vient la maladie et comment éviter de futures émergences. Dans les années qui ont suivi, ont été créés plusieurs départements de recherche, groupes d’experts ou formations universitaires affichant le terme de « One health » dans leurs intitulés ou leurs descriptifs. En 2010, l’OMS, la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale) ont également signé un accord pour tenter de sortir des logiques « en silos » et mieux coordonner leurs actions face aux risques liés aux interactions Homme-animal-environnement.
Plus tard, en 2014, un manifeste publié dans The Lancet propose un nouveau concept, celui de « Planetary health » (« Santé planétaire »). L’objectif est de remplacer le terme de « Santé publique », considéré comme le fruit d’une vision trop réductrice de la santé humaine. Les auteurs y décrivent la Santé planétaire comme une philosophie de vie qui ne met pas l’accent sur les maladies mais sur les personnes et l’équité. En 2015, une nouvelle publication intitulée « Préserver la santé humaine à l’époque de l’anthropocène » s’empare du concept de Santé planétaire pour proposer une approche encore plus large que celle qui était à l’origine de « One health », puisqu’il s’agit alors de considérer toutes les activités humaines ayant un impact sur la santé des écosystèmes, celle-ci ayant, en retour, des conséquences sur la santé humaine et animale. La Santé planétaire désigne ainsi « la santé de la civilisation humaine et des systèmes naturels dont elle dépend ». Son objectif est d’aboutir à la meilleure santé possible pour 100 % des habitants de la planète et ceci à l’intérieur des limites planétaires, autrement dit dans d’un système sain, équilibré et durable. C’est ainsi que les membres de l’Alliance santé planétaire, fondée en janvier 2021 dans le but de promouvoir le concept en France, publient une tribune sur le site Reporterre en commençant par la formule suivante : « Prendre soin du vivant non humain est nécessaire pour améliorer la santé humaine ». Entre temps, l’idée a su rassembler une large communauté scientifique, aboutissant à la création du journal scientifique The Lancet Planetary Health spécifiquement dédié à la question, et de la Planetary Health Alliance, à l’université de Harvard, ayant pour objectif de « promouvoir, mobiliser, et diriger le champ transdisciplinaire de la Santé planétaire et ses diverses sciences, histoires, solutions et communautés pour réaliser la Grande Transition, vue comme un changement complet de la façon dont les humains interagissent entre eux et avec la Nature ».
L’un des principaux leviers à actionner pour réaliser cette Grande transition est celui de l’alimentation, il s’agit même probablement du plus puissant. En effet, le régime alimentaire occidental vers lequel évolue désormais la majorité de l’humanité est considéré aujourd’hui comme causant plus de maladies et de morts prématurées que la somme des rapports sexuels non protégés et des consommations d’alcool, de drogues et de tabac. Disons-le, tout net, ce régime majoritairement répandu est néfaste à notre santé. Dans le même temps, le système de production qui sous-tend cette alimentation est le principal facteur de dégradation environnementale et de transgression des limites planétaires (e.g., dérèglement des cycles de l’azote et du phosphore, déforestation, perte de biodiversité, émission de gaz à effets de serre). Mais, dans une perspective de santé planétaire, il ne s’agit plus de s’intéresser uniquement à la manière de produire plus durablement telle ou telle denrée, ou à la prévention de telle ou telle carence, mais bien de penser ou re-penser, pour l’horizon 2050, l’entièreté du système mondial de production et de consommation de notre nourriture afin d’élaborer « un système alimentaire juste et durable au service de l’humanité et de la planète, ne laissant personne au bord de la route ». C’est en ces termes que la commission EAT-Lancet présente sa vision. Ces 37 scientifiques de renommée internationale ont été rassemblés pour produire un rapport qui vise à répondre à la question suivante « Pouvons-nous nourrir une population de 10 milliards d’habitants avec une alimentation saine, à l’intérieur des limites planétaires ? ». Leur but est donc de proposer une alimentation de Santé planétaire, c’est-à-dire un régime alimentaire sain et issu d’un système de production durable, pour l’ensemble de la planète. Ce rapport a été publié en 2019. Sans surprise, les auteurs rappellent que les alimentations riches en végétaux peu transformés (fruits, légumes, fruits à coque, légumineuses et céréales complètes) et contenant une faible proportion de produits d’origine animale (viandes, poissons, œufs, produits laitiers) et d’aliments très transformés (céréales blanches, sucres, produits ultra-transformés) confèrent des avantages indiscutables pour la santé et l’environnement. Le régime alimentaire proposé – qui accepte bien entendu des adaptations locales en fonction de paramètres géographiques, culturels et démographiques – peut être synthétisé par l’illustration ci-dessous :
Ainsi, 50 % de l’assiette est composé de fruits et légumes, l’autre moitié faisant la part belle aux céréales complètes, noix et légumineuses. Pour plus de détails sur les portions conseillées dans chaque famille d’aliments, il faut se référer au tableau ci-dessous. Notons au passage que la part des produits d’origine animale et des produits très transformés peut être réduite à zéro pour ceux qui le désirent, pour aboutir à une alimentation 100 % végétale.
Les auteurs notent que l’évolution vers une telle alimentation nécessitera, à l’échelle mondiale, de doubler la consommation de fruits, légumes, noix et légumineuses et de réduire de moitié la consommation de viande et de sucre. Attention, il faut bien saisir que la réduction de 50 % de la consommation mondiale de viande consiste pour nous européens, qui sommes parmi les plus gros consommateurs mondiaux, à diviser notre consommation par 5 environ. On rejoint ici le projet de Greenpeace pour la consommation de viande et de produits laitiers d’ici 2050 qui estime également que, pour des raisons environnementales et de santé publique, il est nécessaire de réduire progressivement, d’ici 2050, de 50 % la consommation mondiale de viande et de produits laitiers, pour aboutir à une consommation d’environ 300g de viande et 600mL de lait par personne et par semaine.
Voici donc une nouvelle démonstration de la convergence de toutes les analyses : il est urgent et vital d’adopter des régimes alimentaires centrés sur des aliments d’origine végétale et peu transformés, non plus seulement pour nous prémunir des maladies chroniques non-transmissibles et de leur poids économique insoutenable à long terme, mais également pour préserver la santé des écosystèmes, et ainsi garantir un monde viable et désirable à nos enfants.
Références :
Marie-Monique Robin, « La fabrique des pandémies – Préserver la biodiversité un impératif pour la santé planétaire », éditions La Découverte, 2020.
Olaitan AO, Thongmalayvong B, Akkhavong K, Somphavong S, Paboriboune P, Khounsy S, Morand S, Rolain JM. Clonal transmission of a colistin-resistant Escherichia coli from a domesticated pig to a human in Laos. J Antimicrob Chemother. 2015
Olaitan AO, Chabou S, Okdah L, Morand S, Rolain JM. Dissemination of the mcr-1 colistin resistance gene. Lancet Infect Dis. 2016
Horton R, Beaglehole R, Bonita R, Raeburn J, McKee M, Wall S. From public to planetary health: a manifesto. Lancet. 2014.
Willett W, Rockström J, Loken B, Springmann M, Lang T, Vermeulen S, Garnett T, Tilman D, DeClerck F, Wood A, Jonell M, Clark M, Gordon LJ, Fanzo J, Hawkes C, Zurayk R, Rivera JA, De Vries W, Majele Sibanda L, Afshin A, Chaudhary A, Herrero M, Agustina R, Branca F, Lartey A, Fan S, Crona B, Fox E, Bignet V, Troell M, Lindahl T, Singh S, Cornell SE, Srinath Reddy K, Narain S, Nishtar S, Murray CJL. Food in the Anthropocene: the EAT-Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. Lancet. 2019