Lorsque nous décidons de porter une attention particulière à ce que nous mangeons, nous nous posons quasi-systématiquement la question du « bio ». Notre dilemme se résume à peu près en ces termes : « le bio vaut-il le coût pour notre santé ? ». Et si c’est parfois le cas, « est-ce toujours le cas ? ». Les résultats de la recherche sont encore peu nombreux, il est donc difficile de répondre clairement à cette question, même s’il existe tout de même quelques éléments intéressants que nous allons tenter de synthétiser. Dans un souci de clarté, nous nous permettrons ici de restreindre notre analyse à la question de la santé humaine uniquement, mais il ne faut pas oublier que l’agriculture biologique constitue une vision globale de notre système de production de nourriture et que ses intérêts dépassent ainsi largement la seule question de la santé du consommateur.
L’agriculture biologique croît de manière constante depuis trois décennies. C’est particulièrement le cas pour l’Union Européenne au sein de laquelle la part de terres cultivées en agriculture biologique est passée de 0,1 % en 1985, à 0,6 % en 1995, puis à 3,6 % en 2005, pour atteindre enfin 6,2 % en 2015, soit 11,2 millions d’hectares. Ceci représente aujourd’hui 185 000 exploitations agricoles contre 125 000 en 2003. Ainsi, le marché du bio a augmenté de 107 % entre 2006 et 2015, atteignant 27,1 milliards d’euros. Nous produisons et consommons donc de plus en plus de produits bio, c’est indéniable, bien que la grande majorité de notre nourriture soit encore produite par une agriculture plus conventionnelle. Néanmoins, il est important de souligner les avancées de nombreuses petites exploitations agricoles vers une agriculture plus raisonnée, sans que celles-ci soient pour autant certifiées « agriculture biologique ».
Les preuves les plus directes et les plus robustes des bienfaits d’un comportement alimentaire sur notre santé sont bien évidemment les études menées directement chez l’Homme, commençons donc par là.
Plusieurs études cliniques ont imposé à un groupe de personnes de consommer majoritairement ou exclusivement des produits bio pendant une période plus ou moins longue. Elles ont alors cherché à quantifier les évolutions de différents marqueurs sanguins associés à la santé (comme par exemple les taux sanguins de zinc, de cuivre ou de caroténoïdes) et à les comparer aux mesures réalisées sur le groupe « contrôle », c’est-à-dire un groupe constitué de personnes continuant de s’alimenter majoritairement de produits issus de l’agriculture conventionnelle. Un travail de synthèse de ces études cliniques a été produit en 2012. Ses auteurs en concluent que le changement d’alimentation vers des produits exclusivement bio ne conduit visiblement à aucune évolution des marqueurs sanguins qui puisse être réellement significative pour la santé. Cependant, ces résultats « décevants » sont à modérer puisque la majorité des études cliniques menées jusqu’alors sont basées sur un faible nombre de participants et sur des durées relativement courtes. De futurs travaux de plus grande envergure pourraient peut-être, eux, apporter des éléments plus favorables.
Les études observationnelles constituent un autre type d’étude. Pour la question qui nous intéresse, elles comparent à un moment « t » l’état de santé de personnes déclarant consommer beaucoup ou exclusivement des produits bio à des personnes déclarant n’en consommer peu ou pas du tout. Globalement, ces études rapportent une meilleure santé des consommateurs réguliers de produits bio, mais il demeure impossible de savoir si ces résultats sont réellement à mettre au profit de bio car il est généralement montré que ces personnes consomment plus de fruits, de légumes et de céréales complètes, consomment moins de viandes, ont une activité physique plus importante, et fument moins. Or tous ces éléments sont connus pour favoriser une meilleure santé. Ils constituent donc ce qu’on appelle des facteurs confondants car ils viennent brouiller les pistes et, bien qu’il existe théoriquement des moyens statistiques de neutraliser ou de diminuer leur impact, il n’a pas toujours été possible de le faire de façon satisfaisante dans les études en question. Plusieurs autres études observationnelles montrent également que les allergies et les maladies atopiques sont moins fréquentes chez les enfants des familles consommant préférentiellement des produits bio. Par exemple, une étude menée aux Pays-Bas auprès de 2700 mères et enfants a montré une diminution de 36 % du risque de développer un eczéma chez les enfants de 2 ans consommant des produits laitiers bio et dont la mère a également consommé des produits laitiers bio durant sa grossesse. Mais encore une fois, dans ces travaux sur la santé des enfants, il a été relevé un impact probable de facteurs confondants. Autrement dit la consommation de produits bio était associée à d’autres éléments de mode de vie pouvant exercer une influence bénéfique sur la santé.
Toutefois, il est important de souligner que les résultats d’études prospectives (suivis de plusieurs années d’une même population) viennent confirmer certaines observations en montrant elles aussi certains effets positifs de la consommation régulière de produits bio. Un suivi de 62 000 personnes a par exemple montré qu’une plus grande consommation de produits bio conduisait à une prise de poids plus faible au fil des années, réduisant de 31 % les risques d’obésité. Précisons que, pour obtenir ces résultats, les fameux facteurs confondants dont nous avons parlé plus haut ont justement été pris en compte et corrigés. Ce même suivi de plusieurs années a également permis de montrer que les consommateurs occasionnels ou réguliers de produits bio étaient moins sujets à l’hypertension, au diabète de type 2, à l’hypercholestérolémie et aux maladies cardiovasculaires (pour les hommes du moins). Concernant les risques de cancer, les informations dont nous disposons ne proviennent que d’une seule étude, un suivi de 9,3 ans de 623 000 femmes britanniques d’âge mûr. La consommation de produits bio ne semblait pas réduire les risques généraux de développer un cancer. Néanmoins, les femmes se déclarant consommatrices régulières ou exclusives de produits bio développaient significativement moins certains types de lymphomes (cancer du système lymphatique) que les femmes déclarant ne jamais en consommer.
En résumé, les résultats obtenus chez l’Homme laissent bien supposer des bénéfices de la consommation régulière de produits bio pour la santé, mais il encore trop tôt pour l’affirmer avec assurance. Les résultats de nouvelles études de grande ampleur sont attendus.
Sources principales : 1–3
1. Mie, A. et al. Human health implications of organic food and organic agriculture: a comprehensive review. Environ. Health Glob. Access Sci. Source 16, 111 (2017).
2. Smith-Spangler, C. et al. Are organic foods safer or healthier than conventional alternatives?: a systematic review. Ann. Intern. Med. 157, 348–366 (2012).
3. Dangour, A. D. et al. Nutrition-related health effects of organic foods: a systematic review. Am. J. Clin. Nutr. 92, 203–210 (2010).