1ère partie : Impact de la restriction protéique sur le vieillissement des levures et des invertébrés
Il est désormais établi de longue date que la restriction calorique, c’est-à-dire une diminution significative de la quantité de nourriture consommée à chaque repas, permet l’allongement de la durée de vie de nombreux organismes. Cependant, quelques études ont également rapporté des effets négatifs chez certaines espèces particulières. De plus, pour nous, hommes modernes, le respect d’une restriction calorique sur le long terme demande une volonté et une discipline particulièrement importantes. Par conséquent, nombreuses sont les personnes, pourtant volontaires, qui échouent à maintenir ce type d’alimentation au-delà de quelques mois. Pour ces raisons, plusieurs équipes de recherche ont continué d’explorer les bénéfices offerts par d’autres types d’intervention nutritionnelle. C’est ainsi que les travaux de recherche sur le jeûne se sont multipliés, rapportant des résultats très enthousiasmants. Vous pouvez d’ailleurs consulter sur ce site quelques articles spécifiquement dédiés à ce sujet, si ce n’est déjà fait : ici, ici et ici.
Mais si le jeûne présente de nombreux intérêts préventifs et thérapeutiques, il paraît difficile à mettre en place chez des patients déjà très éprouvés par leur maladie. Certains chercheurs ont donc continué d’explorer d’autres pistes. Ainsi, plutôt que de restreindre de manière globale les calories apportées à l’organisme comme le font la restriction calorique ou le jeûne, certains ont testé l’impact de la restriction d’un ou de plusieurs types de nutriments en particuliers, comme les protéines ou les glucides. C’est ainsi que, dans la littérature scientifique, on parle de « restriction protéique » pour désigner une diminution, sur une période prolongée, de la consommation globale de protéines ou, dans certaines études, pour désigner une diminution de l’apport de certains acides aminés bien spécifiques. Dans cet article, nous vous proposons un rapide tour d’horizon des résultats très intéressants rapportés par les travaux s’étant concentrés sur les effets de la restriction protéique.
Sur des organismes relativement primitifs, les levures, la restriction protéique ralentit la croissance et restaure l’équilibre métabolique. En physiologie, la croissance ne désigne pas simplement l’augmentation de la taille, comme quand nous parlons de la croissance de nos enfants, mais elle désigne plutôt la vitesse à laquelle se multiplient les cellules qui constituent un tissu, un organe ou un organisme. La croissance hépatique est donc la prolifération des cellules du foie, conduisant bien théoriquement à une augmentation de la taille de l’organe. L’idée d’une multiplication importante de nos cellules ne nous semble pas spécialement alarmante, pourtant elle devrait l’être car il s’avère que ce phénomène induit nécessairement un vieillissement des cellules. Par conséquent, une croissance cellulaire importante et prolongée va mener à un vieillissement prématuré d’un ou de plusieurs organes et hâter la survenue de dysfonctions ou de maladies associées au vieillissement, comme le cancer ou le diabète par exemple. Nous vous proposons de développer ce lien dans un autre article exclusivement dédiée à cette question « Facteurs de croissance, vieillissement et maladies liées au vieillissement ».
Bref, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos levures. Il s’avère que la restriction protéique induit chez elles un ralentissement de la prolifération des cellules et donc un ralentissement du vieillissement. On a même montré que la restriction de l’apport d’un seul acide aminé essentiel (1) conduisait à une diminution des dommages causés à l’ADN des cellules (2) et permettait une augmentation de la durée de vie. Enfin, l’étude des levures a permis de décortiquer certaines chaînes de réactions biologiques qui aboutissent à l’activation de gènes contrôlant la protection de la cellule, améliorant sa résistance face à diverses contraintes qui peuvent lui causer des dommages et ainsi hâter son vieillissement. Ceci est particulièrement intéressant parce que les mécanismes identifiés à cette occasion sont, pour partie, communs à de nombreuses espèces, y compris les hommes.
Ensuite, pour suivre le chemin de l’évolution, on a étudié l’effet de la restriction protéique chez les invertébrés, généralement des vers ou des mouches. Et, pour ces organismes aussi, les restrictions alimentaires augmentent l’espérance de vie. Mais une observation importante a été faite dans ces travaux : il s’est avéré que l’apport supplémentaire d’acides aminés essentiels dans l’alimentation d’animaux sous restriction calorique annulait l’allongement de la durée de vie. L’apport supplémentaire d’acides aminés non-essentiels avait, quant à lui, un impact minimal. On peut donc imaginer que l’allongement de la durée de vie apportée par la restriction calorique reposerait en fait en grande partie sur la diminution de la consommation d’acides aminés essentiels, plutôt que sur la diminution du nombres de calories.
Par ailleurs, il a également été rapporté qu’une alimentation riche en protéines et pauvre en glucides avait un impact négatif sur la durée de vie des mouches. Autrement dit, les mouches nourries avec beaucoup de protéines et peu de glucides mouraient de manière prématurée, bien que globalement la quantité de calories ingérées soit bel et bien diminuée. Encore une fois c’est donc plus la quantité de protéines qui semble primordiale que la quantité globale de nourriture. Et c’est ainsi que les bénéfices les plus importants ont été observés pour les mouches consommant beaucoup de glucides et peu de protéines.
(1) Une protéine est formée par l’assemblage de plusieurs acides aminés. Si l’organisme est capable de produire certains acides aminés (qui sont alors dit non-essentiels), il est nécessaire de lui en fournir certains autres qu’il n’est pas capable de synthétiser. Ce sont ces acides aminés particuliers que doit absolument apporter l’alimentation qui sont appelés acides aminés essentiels.
(2) La somme des dommages causés à l’ADN des cellules constituent un marqueur fiable du vieillissement. En résumé, plus son ADN est endommagé, plus un organisme se rapproche de sa mort.
Sources principales : 1–3
1. Mirzaei, H., Raynes, R. & Longo, V. D. The conserved role of protein restriction in aging and disease. Curr. Opin. Clin. Nutr. Metab. Care 19, 74–79 (2016).
2. Mirzaei, H., Di Biase, S. & Longo, V. D. Dietary Interventions, Cardiovascular Aging, and Disease: Animal Models and Human Studies. Circ. Res. 118, 1612–1625 (2016).
3. Ornish, D. et al. Can lifestyle changes reverse coronary heart disease? The Lifestyle Heart Trial. Lancet Lond. Engl. 336, 129–133 (1990).