2ème partie : Impact de la restriction protéique sur le vieillissement des rongeurs et des primates
Passons maintenant à des mammifères proches de l’homme, les rongeurs et les primates. D’abord, ces animaux présentent les mêmes mécanismes biologiques augmentant la longévité et améliorant la résistance aux contraintes physiologiques que ceux identifiés chez les levures. Cette observation est particulièrement importante : si des organismes aussi éloignés d’un point de vue évolutif partagent des caractères, alors il est très probable que l’homme, très proche des rongeurs et des primates, les possèdent aussi.
Il a été montré que la restriction protéique chez des souris atteintes de la maladie d’Alzheimer réduit le taux d’un important facteur de croissance, l’IGF-1, et conduit à une diminution du déclin des capacités intellectuelles des souris, ainsi qu’à une diminution de la survenue des autres maladies généralement associées à la maladie d’Alzheimer.
On a pu aussi observer que la restriction protéique avait un impact bénéfique sur d’autres mécanismes améliorant la protection des cellules tels que :
• l’autophagie, qui est la capacité d’une cellule à se réparer en recyclant ces éléments détériorés ;
• la fonction immunitaire, c’est-à-dire la résistance aux agents pathogènes ;
• le métabolisme énergétique, c’est-à-dire la manière dont la cellule puise l’énergie dont elle a besoin dans les nutriments qui lui sont apportés par le sang.
Une fois encore, la supplémentation en acides aminés essentiels tels que la Leucine (3) annulait ces effets bénéfiques.
Une autre observation intéressante : chez les rongeurs, la restriction protéique s’accompagne généralement d’une baisse de l’appétit, contrairement à l’idée communément admise que ce sont les protéines qui apportent le sentiment de satiété. Et logiquement, à l’instar des levures, ce sont les souris adoptant un régime riche en glucides et pauvres en protéines qui tirent le plus de bénéfices des changements d’alimentation.
Peu de travaux ont pu étudier les effets de la restriction calorique chez des primates.
Seules deux grandes études ont été réalisées, impliquant des Macaques Rhesus, ces singes connus pour présenter de grandes similarités avec l’homme d’un point de vu tant génétique que biologique et physiologique. Ces deux études ont rapporté des bénéfices notables pour la santé des animaux : l’une a montré une diminution du nombre de cancers, tandis que l’autre a montré une nette diminution du nombre de singes développant un diabète ou une maladie cardiovasculaire.
Cependant, en ce qui concerne l’allongement de la durée de vie des animaux, les résultats des deux études sont en désaccord. La première étude, menée par l’institut national du vieillissement aux États-Unis, n’a pas montré d’augmentation de la durée de vie des singes. La deuxième, menée par le centre national du Wisconsin de recherche sur les primates, a en revanche rapporté une remarquable augmentation de leur durée de vie. Plus précisément, après 20 ans de suivi, la mortalité du groupe de singes ayant vécu avec une alimentation réduite d’environ 30 % n’était que de 26 % contre 63 % dans le groupe contrôle. Pour expliquer ce désaccord notable, plusieurs chercheurs ont signalé des différences importantes dans les protocoles expérimentaux utilisés dans chacune des études, particulièrement en ce qui concerne la composition de l’alimentation :
• Dans la première étude, celle qui n’a pas rapporté d’augmentation de la durée de vie, les repas se présentaient sous forme de biscuits spécialement conçus pour apporter une quantité importante de fibres alimentaires, comme le fait l’alimentation spontanée de ces singes lorsqu’ils vivent à l’état sauvage. Les protéines contenues dans ces biscuits étaient issues de blé, de maïs, de soja, de poisson et de luzerne ; elles étaient ainsi principalement d’origine végétale. Enfin, remarquons que les quantités de graisses et de sucres ajoutés étaient très faibles (respectivement 5 % et 3,9 % de l’apport calorique total), et que les animaux recevaient quotidiennement une ration de fruits frais peu calorique.
• Dans la deuxième étude, en revanche, l’apport en protéines était exclusivement d’origine animale, puisqu’elle consistait uniquement en de la lactalbumine, une protéine extraite du lait de vache. Par ailleurs, les apports en graisses et en sucres ajoutés étaient bien plus importants que dans la première étude (respectivement 10 % et 28,5 % de l’apport calorique total).
La différence de résultats concernant la capacité de la restriction calorique à allonger la durée de vie des animaux pourrait donc s’expliquer par les différences notables dans l’ alimentation reçue par les deux populations de singes. Dans la première étude, l’absence d’allongement de la durée de vie pourrait en effet s’expliquer par le fait que l’alimentation proposée aux singes, qu’elle ait été abondante ou restreinte, était globalement favorable pour la santé. Tandis que l’allongement de la durée de vie des singes sous restriction calorique dans la deuxième étude pourrait s’expliquer par le fait que l’alimentation proposée était plutôt néfaste et que, assez logiquement, réduire la quantité de nourriture ingérée a limité les dégâts causés par celle-ci. Les différences en graisses et en sucres ajoutés ont bien sûr pu avoir un impact : elles pourraient par exemple expliquer la nette diminution du nombre de cas de diabète chez les singes sous restriction calorique dans la deuxième étude (dans laquelle l’alimentation était riche en sucres ajoutés). Mais c’est l’origine des protéines apportées aux animaux qui retient particulièrement l’attention des chercheurs pour expliquer les différences de longévité, et donc de vieillissement, dans les deux populations. Il en ressort que la diminution de la consommation de protéines d’origine animale est associée à une augmentation de la durée de vie, alors que la diminution de la consommation de protéines d’origine végétale ne semble pas avoir d’effet. Cette hypothèse apparaît particulièrement pertinente parce qu’elle est cohérente avec d’autres observations rapportées plus haut. En effet rappelons que, chez d’autres organismes, il a été montré que la supplémentation en acides aminés essentiels pouvait annuler les effets bénéfiques de la restriction calorique. Ainsi, l’allongement de la durée de vie apportée par la restriction calorique pourrait en fait reposer sur la diminution de la consommation d’acides aminés essentiels, plutôt que sur la diminution du nombre de calories. Or, ce qui différencie les protéines animales des protéines végétales, c’est justement leur contenu en acides aminés essentiels. Plus précisément, mis à part de rares exceptions telles que le soja, les protéines végétales ne contiennent généralement pas tous les acides aminés essentiels, tandis que les protéines d’origine animale, elles, les apportent systématiquement tous. Ainsi, l’apport exclusif de protéines végétales modérerait la croissance cellulaire, tandis que l’apport de protéines animales aurait plutôt tendance à l’augmenter et, par conséquent, à hâter le vieillissement global de l’organisme. Voilà donc une hypothèse solide actuellement avancée pour expliquer les différences de résultats obtenus chez les singes. Nous pourrions donc en tirer comme enseignement ceci : pour avoir un effet bénéfique, la restriction calorique doit en réalité reposer sur la restriction des protéines d’origine animale.
(3) Cet acide aminé essentiel est généralement bien connu des culturistes puisqu’il est particulièrement important pour la synthèse de protéines musculaires. Par conséquent, il est souvent proposé en supplément alimentaire dans l’espoir de stimuler l’augmentation de la masse musculaire. L’utilité de telles pratiques fait débat.
Sources principales : 1–3
1. Mirzaei, H., Raynes, R. & Longo, V. D. The conserved role of protein restriction in aging and disease. Curr. Opin. Clin. Nutr. Metab. Care 19, 74–79 (2016).
2. Mirzaei, H., Di Biase, S. & Longo, V. D. Dietary Interventions, Cardiovascular Aging, and Disease: Animal Models and Human Studies. Circ. Res. 118, 1612–1625 (2016).
3. Ornish, D. et al. Can lifestyle changes reverse coronary heart disease? The Lifestyle Heart Trial. Lancet Lond. Engl. 336, 129–133 (1990).
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