Dans l’organisme, le niveau d’acidité (pH) est finement contrôlé. Il ne passe normalement que très rarement au-dessous de 7,35 et au-dessus de 7,45. Il existe deux grands régulateurs de l’acidité sanguine. D’une part, il y a la respiration, chargée d’évacuer les molécules acides volatiles telles que le dioxyde de carbone continuellement produit par le fonctionnement normal de nos cellules. D’autre part, il y a les reins qui agissent de deux manières. D’abord, ils sont chargés d’excréter les molécules acides non-volatiles principalement produites par le métabolisme des protéines, particulièrement celles contenant du soufre. Ensuite, ils sont responsables de la production d’ions bicarbonates (HCO3-) qui ont pour rôle de neutraliser les ions hydrogènes (ou protons, H+) dont l’accumulation est responsable de l’acidification d’un liquide. Notons que ces ions bicarbonates sont produits à partir de molécules alcalines précurseuses qui proviennent de notre alimentation, essentiellement des fruits et légumes.
Quand tout se passe bien, production et élimination des molécules acides se compensent parfaitement, et le pH est ainsi maintenu dans les limites nécessaires au bon fonctionnement des cellules de l’ensemble de l’organisme. Cependant, si la production de molécules acides est importante, alors le travail des reins va nécessairement devoir s’intensifier, et ceci peut provoquer de réels dommages rénaux chez les personnes présentant une maladie chronique des reins ou ne possédant qu’un seul rein fonctionnel. Assez logiquement, au vu de ce que nous avons précédemment dit de la production de composés acides non-volatiles et de leur excrétion, il a été montré que passer d’une consommation faible à une consommation élevée de protéines animales augmente d’au moins 30% l’effort de filtrage imposé aux reins. En guise de confirmation, on a observé qu’une restriction protéique est associée à une diminution de l’activité des reins. En revanche, l’augmentation de la consommation de protéines d’origine végétale ne l’augmente visiblement pas, et il semble que les végétariens présentent une activité rénale plus modérée que leurs congénères non-végétariens. Une grande étude a ainsi montré que le passage à une alimentation riche en fruits, en légumes, et faible en graisses, en huile et en protéines animales diminuait la charge acide d’environ 50 % par rapport à une alimentation occidentale classique, diminuant durablement l’effort imposé aux reins.
En cas de dysfonction rénale soudaine, lors d’une intoxication par exemple, on peut observer une diminution rapide et importante du pH sanguin, ce qui constitue un réel danger pour l’organisme. Mais il arrive également, même en l’absence de pathologie avérée, que le niveau d’acidité sanguin soit légèrement en dessous de la limite inférieure et, surtout, qu’il s’y stabilise. On est alors en présence d’un phénomène qu’on appelle acidose. Il s’agit dans ce cas d’une acidose de faible niveau certes, mais d’une acidose chronique, ce qui n’est pas anodin car celle-ci peut également avoir des effets délétères à long terme, particulièrement sur les os et les muscles. Pour bien comprendre cela il est nécessaire de savoir que, si les capacités de régulation des reins ne sont pas suffisantes, comme c’est le cas lors d’une acidose chronique, l’organisme va alors tenter de remonter le pH en libérant dans le sang des ions calcium car ceux-ci ont un pouvoir alcalinisant. Ce calcium relargué sera ensuite filtré par les reins et rejeté dans les urines, on observera par conséquent une augmentation de ce qu’on appelle la calciurie. L’organisme va donc progressivement puiser dans ses réserves de calcium pour limiter l’acidification des liquides corporels, or notre grande réserve de calcium c’est tout simplement notre squelette. Ainsi, une acidose prolongée va entraîner une diminution de la densité minérale de nos os ce qui les fragilise et augmente nos risques de fracture. On parle alors d’ostéopénie ou, si la déminéralisation est très importante, d’ostéoporose. En 2008, on estimait à 10 millions le nombre d’Américains touchés par cette maladie et à 17,9 millions de dollars le coût annuel de sa prise en charge.
Une faible acidose chronique peut avoir deux origines principales : le vieillissement, parce qu’il conduit souvent à une baisse de l’efficacité du fonctionnement des reins, et l’alimentation, parce que certains nutriments ou aliments peuvent avoir des effets acidifiants. Comme nous l’avons dit plus haut, il est généralement considéré que la consommation d’aliments riches en protéines entraîne une accumulation de molécules acidifiantes dans le sang. Il en serait donc ainsi de tous les aliments d’origine animale tels que la viande, le poisson, les produits laitiers et les œufs, mais aussi de certains produits d’origine végétale tels que les légumineuses et les céréales. En revanche la consommation de fruits et de légumes conduirait plutôt à une alcalinisation des liquides corporels. En réalité les choses semblent légèrement plus complexes. D’abord, il apparaît en effet qu’une consommation importante de fruits et de légumes diminue bien les risques d’ostéoporose. Toutes les synthèses scientifiques ayant traité du lien entre alimentation et ostéoporose au cours des vingt dernières années rapportent cet effet protecteur de la consommation de fruits et de légumes. Cela s’expliquerait par le fait que ces aliments sont riches en nutriments nécessaires à la santé osseuse : notamment le potassium, le magnésium, la vitamine C, la vitamine K, les folates et les caroténoïdes. Potassium et magnésium, grâce à leur action alcalinisante, semblent essentiels pour maintenir l’équilibre acido-basique du corps et donc prévenir la déminéralisation osseuse. Le potassium semble également augmenter la rétention de calcium par le rein, indépendamment du niveau d’acidité du sang. La vitamine C, elle, a une action antioxydante qui diminue visiblement l’activité des ostéoclastes, cellules chargées de résorber de la matière osseuse. Dans le même temps, elle interviendrait dans l’apparition de nouveaux ostéoblastes qui sont, à l’inverse, les cellules chargées de produire de la matière osseuse. Les caroténoïdes et d’autres antioxydants auraient un effet bénéfique sur la santé osseuse en diminuant le stress oxydant. Enfin, la vitamine K joue un rôle important dans la production de la matrice nécessaire à la formation de l’os. L’effet bénéfique des fruits et des légumes sur la santé osseuse n’est donc plus à démontrer. En revanche, le regard porté sur les protéines a progressivement évolué depuis les années 90. Une grande étude portant sur l’ostéoporose et menée à Framingham a d’abord remis en question l’association entre la quantité totale de protéines consommées et le risque d’ostéoporose, et a suggéré que l’effet potentiellement délétère des protéines pouvait être dépendant de la présence d’autres nutriments dans l’alimentation. C’est ainsi que, quelques années plus tard, un travail ayant répertorié les fractures de la hanche chez les femmes de plus de 50 ans à travers 33 pays a observé un effet délétère des protéines d’origine animale et, au contraire, un effet bénéfique des protéines d’origine végétale sur la santé osseuse. Les chercheurs ont en effet montré une association entre la quantité moyenne de protéines animales ingérées dans chaque pays et le nombre de fracture de la hanche. Au contraire, l’association était négative lorsqu’on considérait les protéines végétales. Pour compléter encore ces résultats, ils ont même montré qu’il existait une relation inverse et exponentielle entre le rapport entre les protéines végétales et les protéines animales consommées et le nombre de fractures de la hanche rapportées dans chacun de ces 33 pays. Ces résultats s’accordent ainsi tout à fait avec ceux précédemment cités sur l’action acidifiante ou non des protéines de différentes origines, ce qui renforce l’idée que l’acidose chronique est fortement impliquée dans l’ostéoporose. Une autre étude a continué de préciser les choses, montrant que les personnes consommant des céréales complètes plutôt que des céréales raffinées présentaient une meilleure santé osseuse. Le contenu en protéines des deux types de céréales étant très similaire, la différence s’expliquerait donc bien par la présence d’autres nutriments, conformément à l’hypothèse de l’étude de Framingham et aux résultats de l’étude précédente. En effet, dans un grain de céréale, les minéraux et vitamines sont essentiellement contenus dans le germe et l’enveloppe. Ces minéraux ont un pouvoir alcalinisant, et le raffinage des céréales pour obtenir des farines blanches consiste justement à retirer le germe et l’enveloppe qui les contiennent. Ainsi, si tous les minéraux bénéfiques pour l’os sont bien présents dans les céréales complètes, ils sont en revanche très peu présents dans les céréales raffinées. Ces résultats confirment donc que les effets acidifiants ou alcalinisants d’un aliment reposent davantage sur son contenu en différents ions plutôt que de son contenu strict en protéines.
En résumé, il y aurait donc un effet positif des protéines végétales sur les os à condition que celles-ci soient consommées sous une forme peu transformée ; dans le cas contraire, elles auraient plutôt un effet négatif. Un dernier résultat important vient étayer cette théorie. Il s’agit d’un suivi mené auprès de femmes australiennes et qui a montré qu’une alimentation essentiellement basée sur des aliments raffinés (consommation importante de tarte à la viande, de hamburgers, de bière, de sucreries, de jus de fruits, de viandes transformées, de snacks, d’alcool, de pizzas et, au contraire, faible consommation de légumes crucifères) était associée à une faible minéralisation des os et à de moins bonnes performances lors de tests fonctionnels d’équilibre. Mais il est très intéressant de remarquer que cette étude a également montré qu’une alimentation jugée saine (consommation importante de légumes, de fruits, de légumineuses, de tomates, de fruits à coques, d’ail, de céréales complètes et, au contraire, faible consommation de produits laitiers riches en graisses) était associée à une force plus importante des muscles des jambes.
Cela nous conduit vers une autre victime potentielle de l’acidose chronique de bas niveau : la masse musculaire. En effet, plusieurs études ont montré qu’une acidose métabolique entraînait une augmentation de l’azote dans les urines, reflet de la destruction de protéines quelque part dans l’organisme, et une fonte musculaire. A l’inverse, certains travaux rapportent que la quantité de potassium ingérée à travers l’alimentation est corrélée au pourcentage de masse musculaire chez des hommes et des femmes de plus de 65 ans, ou encore que la supplémentation en potassium chez des femmes ménopausées consommant une alimentation très acidifiante atténue la dégradation des protéines musculaires. La préservation de la masse musculaire serait encore une fois, semble-t-il, a mettre au compte de l’action alcalinisante du potassium, qui neutraliserait ou diminuerait l’acidose créée par une alimentation occidentale classique. Sur la base de ces résultats, des chercheurs ont même estimé que les personnes ingérant suffisamment de potassium pourraient présenter plus de 1,5kg de muscle de plus que les personnes n’en ingérant que la moitié (un tel déficit d’apport en potassium est couramment observé dans la population occidentale). Une telle quantité de masse musculaire équivaut quasiment à celle que nous perdrons en moyenne en 10 ans lorsque nous vieillirons. Or, on sait combien la préservation de la masse musculaire est un enjeu crucial chez les personnes vieillissantes, car elle garantit une plus grande autonomie et une meilleure qualité de vie.
Enfin, lorsque l’on parle d’acidose métabolique il faut mentionner le rôle joué par le sel de table : le chlorure de sodium. En effet, il semble qu’une bonne partie de l’acidose sanguine soit due à l’apport en chlorure. Certains travaux suggèrent que la consommation de sel pourrait être responsable de plus de 50 % de la charge acide de l’alimentation. Or justement la quantité de sel consommée dans l’alimentation occidentale classique est souvent importante. En réalité c’est même le ratio chlorure/potassium de notre alimentation qui a totalement été bouleversé, autrement dit nous ajoutons trop de sel et ne consommons pas suffisamment de fruits et légumes.
En résumé donc, pour se prémunir contre une acidose chronique qui peut avoir des effets délétères sur nos reins, nos os et nos muscles, il est urgent de diminuer notre consommation de sel, de protéines animales et de produits très transformés (même d’origine végétale), et d’augmenter notre consommation de fruits, de légumes et de céréales complètes.
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