Aujourd’hui, pour le grand public, mais aussi pour beaucoup de scientifiques, l’ennemi numéro 1 de notre système cardio-vasculaire demeure la quantité et le type de graisses consommées au quotidien. Parmi celles-ci, ce sont plus particulièrement les graisses saturées et le cholestérol qui sont montrés du doigt.
Cette idée remonte à plus d’un siècle lorsqu’il a d’abord été montré que le cholestérol était un composant majeur des plaques d’athérome, ces plaques qui obstruent progressivement nos artères et qui peuvent être responsables d’infarctus ou d’AVC. D’autres travaux ont alors suivi et des expérimentations menées chez l’animal ont rapporté que les graisses alimentaires, et particulièrement le cholestérol, augmentaient effectivement les lésions des artères, notamment de l’artère aorte. Autrement dit, le cholestérol pouvait bien « causer » des problèmes cardio-vasculaires. Or, étant donné le nombre sans cesse croissant de décès par maladies cardio-vasculaires chez les populations des pays développés depuis le début du XXème siècle, l’intérêt pour cette question était très important. Ces résultats et, plus largement, la question des graisses alimentaires concentrèrent alors toute l’attention du grand public, mais aussi des chercheurs et de l’industrie pharmaceutique.
Plus tard, dans les années 50, émergea la figure emblématique de Ancel Keys, un physiologiste américain qui fut à l’origine d’une étude épidémiologique de grande envergure connue sous le nom de Seven Countries Study. Par cette entreprise initiée en 1952 et dont les ramifications ont couru jusqu’en 2014, Keys désirait explorer le lien entre mortalité par maladies cardio-vasculaires, alimentation et mode de vie (activité physique, tabagisme, consommation d’alcool… etc.). L’hypothèse qui guidait ces travaux supposait que le nombre de maladies coronariennes variait entre différentes populations, et à l’intérieur d’une même population, en fonction des caractéristiques physiques et du mode de vie, particulièrement en fonction du contenu en graisses de l’alimentation et du taux de cholestérol sanguin. Les résultats de ces investigations ont confirmé cette hypothèse. En effet, les publications scientifiques qui ont découlé de ce grand chantier ont systématiquement rapporté une association entre taux de cholestérol dans le sang et mortalité par accidents cardiaques.
Mais Keys est aussi connu pour avoir défendu l’idée selon laquelle la consommation de graisses saturées, c’est-à-dire de graisses d’origine animale, serait le principal responsable de l’augmentation du cholestérol sanguin, et donc du risque de maladies cardio-vasculaires. Les résultats d’une étude menée en 1952 soutenaient d’ailleurs bien cette thèse, car ils montrent que la consommation de graisses d’origine végétale (principalement insaturées) tend à faire baisser le taux de cholestérol sanguin, tandis que la consommation de graisses animales (principalement saturées) tend à le faire augmenter. Dix ans après le début de la Seven countries study, les résultats semblaient bien confirmer l’hypothèse de Keys car ils rapportaient une association entre consommation de graisses saturées, taux de cholestérol sanguin et mortalité par maladies coronariennes. Mais deux importants articles de synthèse publiés plus de 60 ans plus tard, en 2015, à la suite de milliers de publications scientifiques sur le sujet, ne semblent pas être d’accord : leurs auteurs rapportent que le cholestérol alimentaire et les graisses saturées ne semblent globalement pas augmenter les risques cardio-vasculaires, bien qu’ils augmentent bien visiblement les taux sanguins de cholestérol total et de LDL (« mauvais cholestérol »). Néanmoins, en conclusion de ces deux synthèses, les chercheurs s’accordent à dire que les résultats et la qualité des études passées sont trop hétérogènes et que, par conséquent, de grandes et longues études de qualité sont encore à engager avant de pouvoir clore le débat.
Mais revenons encore un instant à Keys. Ayant identifié les graisses saturées comme délétères pour nos artères, il défendit les bénéfices du « régime méditerranéen » (concept qu’il participa à créer) qu’il décrivait à l’époque comme une alimentation largement végétarienne et donc faible en graisses saturées. Et effectivement, selon les résultats de ses propres investigations, et d’autres menées par la suite, les populations qui respectent ce type d’alimentation présentent une mortalité par accidents vasculaires plus faible que les populations suivant un régime occidental typique. Toutefois, remarquons que le régime globalement suivi par les populations du pourtour de la méditerranée est désormais bien éloigné de ce que ces articles scientifiques décrivent comme le « régime méditerranéen » sain.
L’étude de Framingham est une autre étude fameuse ayant largement participé à documenter le lien entre alimentation, mode de vie et mortalité par maladies cardio-vasculaires. Initiés en 1948, ces travaux ont suivi pendant 50 ans trois générations d’habitants de la ville de Framingham. Ils ont confirmé l’association entre cholestérol sanguin et mortalité par accidents cardiaques, mais ils ont également permis d’identifier d’autres indicateurs du risque de décès par maladies cardio-vasculaires comme, par exemple, une pression artérielle trop élevée, le tabagisme, l’obésité, le diabète, l’âge, la sédentarité, et certaines anomalies du tracé électrocardiographique. Mais les résultats de cette étude ont surtout participé à établir le concept de « risque multifactoriel ». Ceci veut dire que chaque facteur de risque n’agit pas de manière indépendante, par exemple les risques ne s’additionnent pas les uns aux autres si l’on cumule plusieurs facteurs (hypertension et taux de cholestérol élevé par exemple). Au contraire, il faut mesurer plusieurs de ces facteurs pour estimer réellement le risque global encouru par une personne. Autrement dit, les choses dépassent bien évidemment la seule question du cholestérol, mais aussi de n’importe quel autre indicateur pris de manière isolée.
Même si, aujourd’hui, les recherches ont visiblement permis d’identifier de meilleurs marqueurs du risque cardio-vasculaire que le taux total de cholestérol sanguin, comme c’est le cas du désormais fameux « mauvais » cholestérol (LDL) ou de la dernière en date l’apolipoprotéine B, le type d’approche extrêmement réductionniste qui cherche à trouver l’indicateur parfait est bel et bien une impasse. En effet les études ne tombent pas toutes d’accord sur le facteur le plus efficace pour prédire les risques, et il demeure évidemment impossible de trouver le marqueur qui prédira 100 % des décès. Cela s’explique facilement par le fait que les maladies cardio-vasculaires peuvent avoir plusieurs causes et que ces causes peuvent entrer en interactions les unes avec les autres. Ainsi, progressivement, après les résultats de Framingham mais aussi d’autres grandes études qui ont suivi, on a abandonné l’idée selon laquelle le cholestérol sanguin ou les graisses saturées seraient à elles seules les responsables de l’épidémie de maladies cardio-vasculaires dans les pays occidentaux. D’ailleurs de récents travaux montrent par exemple que la quantité de graisses trans (d’origine animale ou industrielle) dans notre alimentation est finalement plus fortement corrélée à la mortalité générale et à la mortalité par maladie coronarienne que la quantité de cholestérol ou de graisses saturées. Néanmoins, contrairement à ce que défendent certains « cholestéro-sceptiques », le taux de cholestérol sanguin reste bel et bien associé aux risques de mourir d’un accident cardiaque, qu’il en constitue la cause directe ou non. Contredire cela c’est contredire les résultats de 70 ans de recherche extrêmement prolifique. Prenons pour exemple la formation de plaques d’athérome, à l’origine de l’athérosclérose qui peut déboucher sur un infarctus ou un AVC. On sait que l’origine de ce phénomène est l’endommagement en un point précis de la paroi vasculaire et, en effet, il est reconnu que les molécules de « mauvais » cholestérol ne sont pas nécessairement les responsables de cette agression. Mais il n’en demeure pas moins qu’elles jouent à un moment ou un autre un rôle déterminant dans le processus de génération de la plaque, raison pour laquelle le taux de LDL est encore régulièrement associé aux risques d’accidents cardiaques.
Les maladies cardio-vasculaires ont donc une origine multi-factorielle. Parmi ces facteurs il y en a qui sont indépendants de l’alimentation. Il y en a probablement aussi certains qui sont d’ordre alimentaire mais qui ne sont pas directement liés à la quantité et au type de graisses consommées. Malheureusement, l’hypothèse du cholestérol et des graisses alimentaires a focalisé la majorité des efforts réalisés pour comprendre et combattre les maladies cardio-vasculaires depuis des décénnies. Certaines raisons sont évidemment d’ordre économique : il s’agit notamment des marchés très lucratifs des statines et des produits industriels allégés en graisses. Ces deux stratégies peinent à convaincre. Il n’y a pas ou peu de preuves que la consommation de produits allégés puisse réellement faire baisser la mortalité par accidents cardio-vasculaires, tandis que la diminution du risque affichée par les premiers essais cliniques sur les statines a été largement modérée par d’autres études ultérieures jugées plus indépendantes.
Encore une fois, une vision plus globale de l’influence de l’alimentation a été négligée. On a préféré pousser et financer des études réductionnistes dans l’espoir d’identifier « La » molécule responsable et de produire « La » molécule miracle, dans une vision très mécanique des processus biologiques. Pourtant on imagine facilement qu’au sein d’un système biologique extrêmement complexe, la manipulation d’une seule molécule puisse avoir des effets annexes totalement imprévisibles. A l’inverse, la considération du mode de vie ou de l’alimentation dans son ensemble pourrait nous emmener vers des solutions bien plus réalistes et efficaces. C’est ainsi que les résultats les plus remarquables obtenus sur les maladies cardio-vasculaires sont probablement ceux obtenus suite à des changements radicaux d’alimentations. Parmi ces résultats on peut une fois encore citer les travaux du Dr Esselstyn et du Dr Ornish qui ont permis d’observer quelque chose qui n’a jamais pu être observé par la simple prise d’un médicament : l’inversion de l’évolution de maladies coronariennes avancées chez la quasi-totalité des participants aux études, ceci en faisant significativement régresser l’obstruction des artères coronaires. Ces résultats sont spectaculaires, au point qu’après 27 ans de suivi 12 des 18 patients du Dr Esselstyn étaient encore en vie (pour un âge moyen de 83 ans) alors qu’ils avaient déjà tous été victimes d’accidents vasculaires avant de commencer l’étude. Dans les deux cas, ils ont été obtenus en respectant une alimentation basée quasi-exclusivement sur des aliments très peu transformés et d’origine végétale (fruits, légumes, céréales complètes, légumineuses, graines et fruits à coque).
D’ailleurs, concernant les maladies cardio-cardio-vasculaires, une autre histoire que celle du cholestérol pourrait être racontée, il s’agit de celle des protéines d’origine animale. Mais ceci fera l’objet d’un autre article…
Sources principales : 1–8
1. Campbell, T. C. A plant-based diet and animal protein: questioning dietary fat and considering animal protein as the main cause of heart disease. J. Geriatr. Cardiol. JGC 14, 331–337 (2017).
2. Berger, S., Raman, G., Vishwanathan, R., Jacques, P. F. & Johnson, E. J. Dietary cholesterol and cardiovascular disease: a systematic review and meta-analysis. Am. J. Clin. Nutr. 102, 276–294 (2015).
3. Teegala, S. M., Willett, W. C. & Mozaffarian, D. Consumption and health effects of trans fatty acids: a review. J. AOAC Int. 92, 1250–1257 (2009).
4. de Souza, R. J. et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ 351, h3978 (2015).
5. Kannel, W. B., Dawber, T. R., Kagan, A., Revotskie, N. & Stokes, J. Factors of risk in the development of coronary heart disease–six year follow-up experience. The Framingham Study. Ann. Intern. Med. 55, 33–50 (1961).
6. Kinsell, L. W., Partridge, J., Boling, L., Margen, S. & Michaels, G. Dietary modification of serum cholesterol and phospholipid levels. J. Clin. Endocrinol. Metab. 12, 909–913 (1952).
7. Esselstyn, C. B., Ellis, S. G., Medendorp, S. V. & Crowe, T. D. A strategy to arrest and reverse coronary artery disease: a 5-year longitudinal study of a single physician’s practice. J. Fam. Pract. 41, 560–568 (1995).
8. Ornish, D. et al. Can lifestyle changes reverse coronary heart disease? The Lifestyle Heart Trial. Lancet Lond. Engl. 336, 129–133 (1990).
c’est agréable d’avoir un article complet, merci.
Bonne continuation pour votre blogtres sympathique 🙂