Les expérimentations de laboratoire peuvent apporter quelques éléments pour juger des bénéfices des aliments bio pour la santé humaine, mais ceux-ci constituent nécessairement des preuves plus indirectes que celles fournies par les études menées chez l’Homme. Parmi les travaux de laboratoire, on distingue généralement les expérimentations in vitro des expérimentations animales.
Deux principales études in vitro peuvent être citées. La première a montré que des extraits de fraises bio empêchaient de manière plus prononcée la multiplication de cellules cancéreuses cultivées dans une boîte de pétris que des extraits de fraises issues de l’agriculture conventionnelle. La deuxième a, quant à elle, rapporté que des extraits de betteraves bio naturellement fermentées accentuaient plus fortement le suicide (autrement appelée apoptose) et la nécrose de cellules cancéreuses. Toutefois ces résultats positifs sont à considérer avec précaution car ils sont issus de protocoles hautement réductionnistes : en réalité, les cellules cancéreuses présentes dans notre organisme ne se trouvent jamais directement en contact avec un aliment ou des extraits d’aliments. Les effets observés ici pourraient donc ne pas du tout être transférables à la réalité bien plus complexe de l’interaction entre cancer et alimentation.
Concernant les expérimentations menées chez l’animal, on peut dire que, d’une manière générale, il a été montré des effets d’une alimentation bio sur la vie cellulaire, le système immunitaire, la croissance et le développement. Prenons l’exemple d’une étude, jugée de très bonne qualité, qui a permis d’observer des effets notables du bio à partir de la deuxième génération d’animaux. Dans ces travaux, les poulets nourris avec des aliments issus de l’agriculture conventionnelle et dont les parents l’avaient aussi été présentaient une croissance plus rapide que les poulets nourris, ainsi que leur parents, avec des aliments bio. Or, on sait qu’une croissance accélérée pendant les premiers temps de vie (chez l’animal mais aussi chez l’Homme) est associée à un risque accru de développer, à l’âge adulte, des maladies chroniques métaboliques et inflammatoires. L’observation qui a été faite sur la croissance des jeunes poulets pointe donc vers une meilleure santé à long terme pour les poulets « bio ». De plus, ces derniers présentaient une rémission plus rapide que les poulets « conventionnels » après un épisode infectieux, laissant donc supposer un système immunitaire plus performant. Il est, comme toujours, très difficile de savoir si ces résultats positifs observés chez les animaux peuvent être extrapolés à l’Homme, mais ils présentent au moins le grand intérêt de rendre plausibles de potentiels bénéfices d’une alimentation bio pour la santé humaine et encouragent ainsi à poursuivre les recherches en ce sens.
L’une des caractéristiques de l’agriculture biologique est de restreindre fortement l’utilisation de pesticides. Par conséquent, la consommation régulière de produits biologiques réduit l’exposition globale du consommateur aux pesticides. Notons à ce titre qu’on considère que les résidus de pesticides présents sur (ou dans) les produits alimentaires constituent la principale source d’exposition pour une personne lambda. Ainsi, de manière assez logique, il a été observé qu’une consommation importante de fruits et de légumes était associée une quantité plus élevée de pesticides dans les urines, tandis qu’une consommation fréquente de produits bio était associée une quantité réduite. Néanmoins, il faut signaler qu’en moyenne, au sein de l’Union Européenne au cours des trois dernières années, seulement 1,5 % des échantillons contrôlés d’aliments issus de l’agriculture conventionnelle dépassaient la dose de référence aiguë1. Cette valeur est établie à partir de tests de toxicité réalisés sur des animaux et elle représente la quantité maximale pouvant théoriquement être ingérée quotidiennement par l’Homme sans risque appréciable à long terme pour la santé. Elle constitue donc l’indicateur classiquement utilisé pour évaluer la potentielle toxicité d’un aliment présentant des résidus de pesticides. Toutefois, l’évaluation de la toxicité à long terme est une question très ardue. Il est raisonnable de s’interroger sur notre capacité à évaluer correctement (sur la base d’expérimentations animales) les risques associés à une exposition quotidienne ou régulière, surtout que ceux ne sont pas en réalité liés à une seule et unique molécule agissant de manière isolée, mais à de multiples pesticides pouvant potentiellement entrer en interaction et provoquer des effets inattendus. De plus, il est parfois constaté des différences de résultats surprenants entre les tests industriels et les études scientifiques indépendantes portant sur l’évaluation de la toxicité de certaines molécules.
Si la réduction de l’exposition aux pesticides peut être souhaitable pour le consommateur, elle est bien plus significative pour les producteurs eux-mêmes ou les populations habitant à proximité des exploitations agricoles. En effet, ces personnes sont quotidiennement exposées à des doses largement supérieures à celles auxquelles sont exposés les consommateurs. Chez des ouvriers agricoles, il a ainsi été établi un lien entre l’exposition aux pesticides et le développement de la maladie de Parkinson, de diabète de type 2 et de certains cancers. On a également montré que l’exposition professionnelle ou occasionnelle (utilisation domestique) à certains pesticides durant la grossesse pouvait conduire à des leucémies ou des lymphomes chez l’enfant, et qu’une exposition, même de très courte durée, pendant les premières semaines de la grossesse pouvait engendrer des effets négatifs à long terme sur la croissance, les fonctions cérébrales et le développement de l’enfant. Par exemple, dans une étude menée en Californie auprès de travailleurs agricoles, une concentration urinaire élevée en certains pesticides pendant la grossesse étaient associée à des réflexes anormaux chez les nouveau-nés, un développement mental anormal à 2 ans, des problèmes d’attention à 3,5 ans et 5 ans, et à un développement intellectuel réduit à l’âge de 7 ans. Au-delà de la grossesse, l’exposition aux pesticides pendant les premières années de vie semblent également avoir des conséquences particulièrement néfastes. Dans cette même étude californienne, un taux élevé de pesticides dans les urines des enfants de 5 ans était ainsi associé à un risque plus élevé d’hyperactivité.
Une des pistes qui a beaucoup été explorée pour évaluer les potentiels bénéfices du bio pour la santé est l’analyse de la composition nutritionnelle des aliments issus de ce mode de production et leur comparaison avec des produits conventionnels. L’idée sous-jacente est qu’un aliment présentant de plus grandes concentrations en certains nutriments-clés (vitamines, acides gras essentiels, anti-oxydants… etc.) offrirait des avantages pour la santé. Dans cette perspective, on a par exemple montré un contenu plus important en polyphénols dans certains fruits et légumes bio, laissant imaginer un pouvoir antioxydant supérieur pour ces produits par rapport à leurs équivalents issus de l’agriculture conventionnelle. En réalité, pour faire simple et ne pas nous perdre dans une conception de la nutrition certainement assez peu pertinente, on peut dire que les travaux de synthèse s’accordent globalement à dire qu’il est très peu probable que les faibles différences de composition, qui n’ont été observées que pour certains nutriments et dans certains aliments en particulier, aient un quelconque impact sur la santé.
Enfin, il semble intéressant d’évoquer un dernier volet, celui de l’antibiorésistance. Rappelons que, par ce terme, on désigne la capacité que présentent certaines bactéries à résister aux traitements antibiotiques. L’émergence et la multiplication de ce type de bactéries ont été causés par l’utilisation trop massive et trop systématique des antibiotiques au cours des dernières décennies et, aujourd’hui, elles posent un problème de santé majeur car nous nous retrouvons face à des maladies infectieuses pour lesquelles aucun traitement médicamenteux n’est réellement efficace. Or, on sait que l’énorme utilisation des antibiotiques dans l’élevage conventionnel participe très largement au phénomène de l’antibiorésistance. Au contraire, le recours aux antibiotiques dans l’élevage biologique est bien plus encadré : il est réservé au traitement de certaines maladies précises et doit être suivi d’une plus longue période de carence (période pendant laquelle il est interdit d’utiliser à nouveau des antibiotiques). Des études réalisées au Danemark et aux Pays-Bas ont ainsi estimé que l’utilisation d’antibiotiques était 1,5 fois (Danemark) et 4 fois (Pays-Bas) plus importante dans l’élevage conventionnel que dans l’élevage bio. Ceci s’explique en partie par les différences de réglementation entre les deux modes de production que nous avons déjà évoquées, mais aussi en partie par le fait que les animaux des fermes biologiques présentent significativement moins de risques de développer certaines pathologies qui sont liées au mode de production intensive des fermes conventionnelles. On a donc logiquement montré que des viandes de poulet ou de porc biologiques présentaient moins de risques de porter des bactéries résistantes aux antibiotiques. Un des grands avantages indirects de l’agriculture biologique pour la santé humaine pourrait donc passer par la lutte contre l’antibiorésistance. Il a d’ailleurs bel et bien été démontré que des restrictions dans l’utilisation des antibiotiques (après la conversion de fermes conventionnelles en fermes biologiques) conduisaient progressivement à la réduction des bactéries résistantes aux antibiotiques au sein des exploitations.
En résumé, l’agriculture biologique semble clairement avoir des avantages pour la santé humaine au sens large, mais les principaux bénéfices dépassent probablement la simple santé du consommateur (santé des ouvriers agricoles, antibiorésistance…etc.). Néanmoins, quelques éléments laissent supposer qu’une consommation régulière de produits biologiques pourrait bien être directement favorable pour le consommateur lui-même. Cependant, étant donné l’influence de facteurs confondants dans plusieurs études menées chez l’Homme, il faudra attendre de nouveaux résultats pour pouvoir l’affirmer avec certitude.
Sources principales : 1–3
1. Mie, A. et al. Human health implications of organic food and organic agriculture: a comprehensive review. Environ. Health Glob. Access Sci. Source 16, 111 (2017).
2. Smith-Spangler, C. et al. Are organic foods safer or healthier than conventional alternatives?: a systematic review. Ann. Intern. Med. 157, 348–366 (2012).
3. Dangour, A. D. et al. Nutrition-related health effects of organic foods: a systematic review. Am. J. Clin. Nutr. 92, 203–210 (2010).