L’action multiple et complexe de l’alimentation : l’exemple du curcuma
Le curcuma est un autre de ces aliments désormais bien connus pour ses propriétés anti-cancers. On a par exemple montré qu’il réduisait les mutations de l’ADN chez des fumeurs. Mais il a aussi été montré qu’il restaurait chez les cellules cancéreuses la mort programmée, appelée apoptose. En effet, les cellules cancéreuses sont caractérisées par la perte de ce mécanisme naturel qui ordonne normalement à une cellule saine de s’autodétruire lorsqu’elle est devenue trop âgée ou trop dysfonctionnelle. D’une certaine façon les cellules cancéreuses sont donc immortelles. C’est cela qui leur permet d’augmenter progressivement leur nombre et, à terme, de prendre le pas sur les cellules saines. Le curcuma pourrait donc permettre de lutter efficacement contre une tumeur en réactivant la mort naturelle des cellules cancéreuses. Mais, visiblement, il pourrait aussi tuer plus directement les cellules mutantes en activant en leur sein des enzymes dites « de l’exécution » qui détruisent la cellule de l’intérieur en coupant en morceaux ses protéines. Bien évidemment, le curcuma n’a pas ce genre d’effet sur les cellules saines, sinon l’intérêt que nous lui portons serait bien moindre.
Attention toutefois, rappelons que l’efficacité du curcuma (sur les cancers du sein, du cerveau, du sang, du colon, du rein, du foie, des poumons et de la peau) a été démontré in vitro, c’est-à-dire sur des cellules cancéreuses cultivées dans une boîte de pétri, en dehors de notre organisme. Ces résultats restent donc à confirmer in vivo, avec sur des êtres humains mangeant du curcuma. En effet, dans des conditions de laboratoire relativement éloignées de ce qui peut se passer dans notre corps, de nombreuses molécules ou aliments ont déjà montré des propriétés anti-cancers, mais c’est l’observation in vivo de ces propriétés qui constitue la preuve scientifique incontestable du potentiel anti-cancer d’un aliment. Or, en matière d’alimentation notamment, des pistes enthousiasmantes in vitro peuvent parfois s’avérer décevantes in vivo. Dans certains cas, même, l’effet d’une molécule isolée ne correspond pas du tout à l’effet général de l’aliment la contenant. Rappelons à titre d’illustration les effets opposés des aliments riches en béta-carotènes et de la supplémentation en béta-carotènes sur les risques de cancer du poumon de fumeurs que nous avons évoqués plus haut. Restons donc concentrés sur les résultats plus généraux fournissant des preuves des effets plus globaux, mais primordiaux, des aliments entiers que nous ingérons sur le cancer. Néanmoins, les études in vitro menées par exemple sur le curcuma ou les légumes crucifères illustrent bien à quel point l’action de l’alimentation est multifactorielle et complexe, agissant simultanément sur de nombreux mécanismes du cancer. C’est pour cette raison que l’on peut supposer un potentiel très important de l’alimentation sur cette maladie aussi complexe.
Des aliments qui promeuvent le cancer
Si certains micronutriments ou aliments les contenant, tels que les isothocyanates, les béta-carotènes ou le curcuma, présentent de véritables propriétés anti-cancers (nous pourrions aussi citer le lycopène de la tomate, la genistéine du soja, ou les tocophérols des fruits à coque), d’autres sont au contraire susceptibles de favoriser la croissance d’une tumeur. En effet, des expérimentations menées chez l’animal ont montré que la manipulation de la quantité de protéines d’origine animale consommée pouvait réellement activer ou stopper le développement d’un cancer. Les résultats étaient spectaculaires : ils montraient que diminuer drastiquement la part de protéines d’origine animale dans l’alimentation de souris auxquelles on avait injecté de fortes doses d’un cancérigène prévenait complètement le développement du cancer du foie, le type de cancer habituellement induit par cette molécule (l’aflatoxine). Ce groupe de chercheurs a même montré à plusieurs reprises que le développement de la tumeur pouvait être rapidement stoppé puis ré-activé par la diminution puis l’augmentation de la quantité de protéines animales contenue dans l’alimentation.
Ce genre de résultats viennent directement s’opposer à la théorie selon laquelle le développement d’un cancer dépendrait principalement de l’action des cancérigènes en entraînant une accumulation de mutations génétiques irréversibles car, dans cet exemple, l’effet de l’alimentation surpasse bel et bien l’effet des composés carcinogènes en contrôlant totalement la progression du cancer, indépendamment de tous les autres facteurs. Plus précisément, ils confirment ici l’impact primordial de l’alimentation sur la deuxième des trois grandes phases du cancer, la promotion. Cette phase correspond à la période, probablement très longue (20 à 30 ans chez l’Homme?), durant laquelle les mutations s’accumulent jusqu’à conférer aux cellules mutantes un avantage en terme de croissance et de multiplication, comparativement aux cellules saines voisines, conduisant à la formation d’un tissu cancéreux de plusieurs milliards de cellules. En effet, si le développement d’un cancer nécessite l’accumulation de mutations dans l’ADN de certaines cellules, il nécessite surtout la croissance et la prolifération de ces cellules mutantes, sans quoi les lésions pré-cancéreuses demeurent dans un état latent. C’est ce processus central qui est entravé par la réduction importante des protéines d’origine animale dans l’alimentation des souris pourtant exposées à de fortes doses de cancérigènes. L’alimentation constitue alors un facteur non-mutagène, par opposition aux molécules cancérigènes (ou virus), mais un facteur néanmoins déterminant.
Mais dans cette suite d’expérimentations, les chercheurs ont également montré que la quantité de protéines d’origine animale jouait un rôle clé dès la toute première étape du cancer : l’activation du cancérigène et la production des premières mutations génétiques. En effet, bien souvent, pour que la molécule toxique joue son rôle d’agent mutagène elle doit être métabolisée, c’est-à-dire transformée, par l’organisme lui-même alors qu’il tente de l’éliminer. Cette phase initiale du cancer serait donc elle aussi sous l’influence primordiale de l’alimentation, comme nous le suggéraient déjà les résultats que nous avons cités à propos du curcuma ou du brocoli chez les fumeurs. Mais, une fois encore, les chercheurs ont montré que l’alimentation agissait de manière extrêmement complexe. En effet, les neufs mécanismes biologiques étudiés avec précision étaient tous affectés par la quantité de protéines animales contenue dans la nourriture. Aujourd’hui avec les nouvelles technologies disponibles, bien d’autres mécanismes pourraient être investigués.
Sources principales : 1,2 3 4 5 6,7 8
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