Depuis un siècle, les pays occidentaux font face à des changements démographiques et sanitaires très importants. Ils sont confrontés à une explosion des maladies dites « non-transmissibles », liées au vieillissement de leurs populations et à l’évolution des modes de vies. Ces maladies sont classées en quatre grandes familles par l’OMS : les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies chroniques respiratoires et les diabètes. Parmi celles-ci, l’obésité, le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires sont jugées comme les plus préoccupantes actuellement, particulièrement à cause de leur augmentation rapide et constante.
Les maladies non-transmissibles se caractérisent par leur développement lent et, une fois déclarées, par leur longue durée. Elles excluent par définition toutes les formes d’infections ou d’accidents : ce sont des maladies qui résultent principalement de modes de vie malsains incluant généralement la consommation d’une nourriture de mauvaise qualité nutritionnelle, la consommation d’alcool, de tabac, ou encore une inactivité physique importante. Dans la population générale, on s’aperçoit par exemple que l’inactivité physique – autrement appelée « sédentarité » – et que la consommation d’une alimentation malsaine sont fortement associées à la prise de poids, au surpoids, et à l’obésité. Or, ces trois éléments sont jugés comme les causes majeures de nombreuses maladies modernes telles que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires. De manière générale, les résultats de nombreuses études observationnelles (ou interventionnelles) suggèrent que l’activité physique jouerait un rôle majeur dans l’amélioration de la santé et pourrait prévenir de nombreuses maladies non-transmissibles. Ces données sont en majorité issues de ce que l’on appelle des études « transversales », c’est-à-dire des études qui comparent, à un moment « t », l’état de santé de plusieurs groupes de personnes aux modes de vie différents. Disons que c’est une photographie de l’état de santé de différentes personnes à un moment précis de leur vie. Ce type de protocole permet d’obtenir des corrélations entre deux paramètres, par exemple le niveau d’activité physique et le risque de maladies cardiovasculaires, et il a le grand avantage de rapidement produire des résultats. Bien que ces associations laissent supposer des liens de causalité entre les deux paramètres, particulièrement lorsqu’une plausibilité biologique a été démontrée, elles ne fournissent pas de preuves directes de cette causalité et ne permettent pas non plus d’établir le sens de celle-ci, si elle existe bien entendu. Par exemple, une association entre le niveau d’activité physique et le risque de maladie cardiovasculaire peut être le signe que l’inactivité physique conduit au développement de maladies cardiovasculaires ou, à l’inverse, que les maladies cardiovasculaires entraînent l’arrêt ou une diminution importante de l’activité physique des personnes touchées… Pour y voir plus clair et compléter cette approche transversale, il est nécessaire d’avoir recours à des études longitudinales qui ont pour objectif de suivre l’évolution de l’état de santé d’un même échantillon de population pendant une longue période (des années, voire des dizaines d’années). Ce type de protocole permet de voir réellement si un mode de vie précis conduit au fil du temps au développement de certaines maladies particulières. Son principal inconvénient est qu’il est coûteux à mettre en œuvre et qu’il met très longtemps à fournir des résultats. Ainsi, malgré le fait que les maladies non-transmissibles sont de véritables fléaux pour nos sociétés et que les études transversales suggèrent que l’activité physique permettrait de prévenir leur survenue, il existe relativement peu d’études longitudinales ayant suivi pendant une bonne partie de leur vie un échantillon de personnes représentatif de la population générale.
Néanmoins des chercheurs de l’Université de Karlsruhe, en Allemagne, se sont efforcés en 2013 de produire un travail de synthèse des études longitudinales qui ont déjà été menées. Ils ont épluché soigneusement la littérature scientifique pour répertorier tous les articles scientifiques en lien avec la thématique. Ils ont procédé ensuite à une sélection rigoureuse en excluant par exemple tous les travaux basés sur des participants déjà malades au lancement du suivi, ou encore les travaux imposant aux participants des protocoles d’activité physique particuliers plutôt que de les laisser suivre leurs habitudes et leur mode de vie « spontanés ». Ils n’ont donc finalement retenu que 18 articles scientifiques écrits à partir des données recueillies auprès de personnes âgées de 18 à 85 ans (au lancement des études) qui ont été suivies sur une période de 6 à 60 ans :
– 4 articles ont étudié l’effet de l’activité physique sur la prise de poids et l’obésité ; ils ont porté sur plus de 17 000 personnes
– 6 articles ont étudié l’effet de l’activité physique sur les maladies cardiovasculaires ; ils ont porté sur près de 135 000 personnes
– 5 articles ont étudié l’effet de l’activité physique sur le diabète de type 2 ; ils ont porté sur près de 85 000 personnes
– 6 articles ont étudié l’effet de l’activité physique sur la maladie d’Alzheimer et la démence ; ils ont porté sur plus de 15 000 personnes (*).
Selon les auteurs de la synthèse, les résultats analysés confirment bien que l’activité physique régulière réduit sur le long terme les risques de prise de poids et d’obésité. L’une des études a par exemple montré que pour chaque tranche de 30 minutes de marche quotidienne, les hommes réduisaient en moyenne leur prise de poids de 0,25 kg par an et les femmes de 0,53 kg. Et il est intéressant de noter que ce sont les personnes les plus lourdes au début du suivi qui bénéficiaient le plus d’une activité physique régulière. Une autre étude a montré qu’une activité physique d’une intensité d’au moins 60 % au dessus du métabolisme de repos était nécessaire pour perdre du poids. Les auteurs concluaient alors qu’intégrer 45 à 60 minutes de marche vive, de jardinage ou de vélo à ses activités quotidiennes pouvait être une stratégie efficace pour maîtriser son poids sur le long terme.
Le groupe de chercheurs de Karlsruhe confirme également que l’activité physique permet de réduire significativement le risque de maladies cardiovasculaires, telles que les accidents vasculaires cérébraux par exemple. Les études semblent globalement s’entendre sur le fait qu’il faut au minimum une dépense énergétique équivalente à 1000 kCal par semaine pour en voir réellement les effets. En revanche, il n’existe aucune information sur le type, l’intensité ou la fréquence de l’activité physique la plus efficace. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le suivi de près de 90 000 femmes de 34 à 59 ans de 1980 à 2000 a confirmé que développer un surpoids ou devenir obèse au fil des années augmentait bien significativement le risque d’être atteint tôt au tard d’une maladie cardiovasculaire. Ainsi, si l’activité physique améliore probablement directement le fonctionnement du système cardiovasculaire, elle le fait aussi de manière plus indirecte lorsque, nous l’avons vu plus haut, elle limite la prise de poids.
L’examen des articles portant sur le diabète de type 2 fait également dire aux auteurs de la synthèse que l’activité physique régulière est aussi efficace pour réduire le risque de développer cette maladie non-transmissible. L’une des études en question conclut par exemple qu’il faut au minimum une session d’activité physique modérée ou intense par semaine pour faire diminuer significativement son risque. Cependant, en analysant les résultats par tranche d’âge, il a été montré qu’il était nécessaire d’augmenter l’intensité ou le nombre de sessions d’activité physique pour les personnes plus âgées par rapport aux plus jeunes. D’autres résultats montrent que, en plus de l’activité physique, d’autres facteurs font diminuer de manière importante le risque de diabète comme, par exemple, ne pas être en surpoids (IMC inférieur à 25), avoir des comportements alimentaires jugés sains, ne jamais avoir fumé, ne pas boire d’alcool, avoir une circonférence de cuisse inférieure à 92 cm pour un homme et 88 cm pour une femme. Les personnes réunissant tous ces paramètres étaient ainsi, dans l’étude en question, les personnes présentant la meilleure santé, et on pouvait leur prédire un risque de développer un diabète de type 2 inférieur de 82 % aux autres personnes. De plus, les auteurs de cet article ont montré que, si on considérait ces associations comme des liens de causalité (ce qui reste a confirmer), alors 8 cas de diabète de type 2 sur 10 pourraient être prévenus par un mode de vie sain.
Enfin, le travail de synthèse des chercheurs de l’Université de Karlsruhe montre que les personnes actives physiquement présentent moins de risques de développer des troubles cognitifs et obtiennent de meilleurs scores aux tests d’évaluation. De manière intéressante, il apparaît que des activités de faible intensité telles que la marche suffisent à réduire le risque de développer la maladie d’Alzheimer ou une démence cérébrale. Ainsi l’activité physique quotidienne semble bien un outil important pour prévenir certaines maladies neuro-dégénératives.
Ce travail de synthèse conclut donc que l’activité physique régulière est efficace pour se prémunir de plusieurs maladies non-transmissibles qui ravagent nos sociétés : surpoids et obésité, maladies cardiovasculaires, diabète de type 2, maladie d’Alzheimer et démence. Les chercheurs ayant réalisé cet article insistent donc sur le fait qu’il faut inclure l’activité physique régulière dans les programmes de prévention et qu’il faut mieux informer la population de ses bienfaits.
Pour terminer, signalons juste que ces conclusions reposent sur des données recueillies exclusivement auprès d’adultes. Il existe en effet très peu d’information disponibles sur les enfants et les adolescents, et sur un potentiel effet bénéfique à long terme d’une activité physique régulière pratiquée durant l’enfance.
(*) La maladie d’Alzheimer et la démence ne font pas encore partie des grandes catégories de maladies non-transmissibles de l’OMS. Mais compte tenu de leur augmentation spectaculaire dans les sociétés occidentales et du poids extrêmement lourd qu’elles vont faire peser sur nos système de santé, les auteurs ont décidé de les intégrer pleinement à leurs analyses.
Source principale :
Reiner, M., Niermann, C., Jekauc, D. & Woll, A. Long-term health benefits of physical activity–a systematic review of longitudinal studies. BMC Public Health 13, 813 (2013).