Lorsque nous vieillissons, nous voyons augmenter notre risque de déclarer de nombreuses maladies chroniques non-infectieuses, comme les maladies cardiovasculaires, la maladie d’Alzheimer ou le diabète de type II par exemple. Il en est une autre moins connue, pourtant très importante parce qu’elle peut s’avérer particulièrement invalidante, c’est la sarcopénie. On désigne par ce terme les pertes progressives de masse musculaire et de capacités motrices causées par le vieillissement. En effet, on estime qu’à partir de 50 ans la masse musculaire d’une personne peut diminuer au rythme de 1 à 2 % par an. Bien évidemment une telle fonte musculaire entraîne une baisse des performances physiques, objectivée par exemple par la baisse de la force maximale qu’une personne est capable de développer lors d’un exercice particulier.
L’un des facteurs biologiques qui influe de manière prépondérante sur la masse musculaire est l’hormone IGF-1. Cette dernière est en effet un puissant facteur de croissance, c’est-à-dire qu’elle augmente le rythme de multiplication des cellules. Et ceci est particulièrement vrai pour les cellules musculaires, le phénomène a déjà été largement documenté. Il a d’ailleurs été observé que l’IGF-1 ne se contente pas seulement d’augmenter la prolifération cellulaire dans le muscle, elle pousse également à la différenciation, c’est-à-dire à la spécialisation des cellules musculaires. Elle entraîne une hypertrophie des cellules musculaires, c’est-à-dire qu’elle augmente leur taille et donc, leur capacité de production de force. Cette hormone est bien connue dans le monde sportif et, dans les disciplines de force, on se livre parfois à une vraie chasse à l’IGF-1.
Chez des personnes atteintes de sarcopénie, il été observé de manière relativement logique une diminution du taux d’IGF-1 dans le sang et une diminution de sa production comparativement à de jeunes gens en bonne santé physique. De plus, il a été montré que les cellules vieillissantes présentaient des taux plus élevés de protéines inhibitrices de l’IGF-1 (IGFBP-1) et que ceci conduisait mécaniquement à une activation moins importante des cascades de réactions biologiques enclenchées par l’IGF-1. Tout cela semble attester que la diminution de l’IGF-1 avec l’âge joue un rôle dans la réduction de la masse musculaire et des fonctions motrices.
Toutefois, la réduction des taux d’IGF-1 par des interventions nutritionnelles augmente la durée de vie de la grande majorité des organismes, des plus primitifs comme certaines levures à des mammifères comme des souris ou des singes. Plus impressionnant encore, certaines études montrent que 30 % des souris dont la durée de vie a augmenté jusqu’à 60 % (!) meurent sans marque de pathologie suffisante pour expliquer leur décès, tandis que chez les souris d’une durée de vie plus classique elles ne sont que 6 % dans ce cas (Shimokawa I, et al., J Grontol.. Janv 1993). En somme, une diminution du taux d’IGF-1 permet aux souris de vivre plus longtemps, mais aussi d’être en meilleure santé jusqu’à leur mort. Enfin et surtout, si les choses ne peuvent pas être étudiées de manière si fine chez l’homme pour des raisons éthiques et méthodologiques, de nombreuses observations laissent fortement penser que les mêmes phénomènes ont cours. Nous aurions à gagner à faire baisser notre taux d’IGF-1 moyen au cours de notre vie.
Nous aboutissons donc à un tableau qui nous apparaît tout à fait contradictoire : d’une part une réduction du taux d’IGF-1 semble nous assurer une vie plus longue et en meilleure santé, d’autre part elle semble mettre gravement en danger nos capacités physiques de personnes vieillissantes. Quelque chose nous échappe certainement encore…
Il se peut que les choses soient légèrement plus subtiles. Par exemple, il semblerait qu’une réduction de l’IGF-1 n’ait pas les mêmes conséquences selon l’âge auquel elle intervient. Chez des souris, il a été montré que si une réduction très importante intervenait à un âge déjà bien avancé, elle conduisait plutôt à une augmentation du stress oxydatif dans les muscles, une accélération de la perte osseuse et, finalement, à une réduction de la durée de vie. De même, sur la base de plusieurs travaux menés chez l’homme, certains chercheurs suggèrent qu’une diminution de l’IGF-1 à un jeune âge suivie d’une augmentation à un âge avancé puisse être la recette pour maximiser notre durée de vie. Toutefois ces éléments nécessitent de plus profondes investigations.
En revanche, un autre élément s’impose de plus en plus comme facteur explicatif du paradoxe énoncé plus haut ; il repose sur une famille de protéines appelées les Sirtuins. On sait que, de manière indirecte, ces molécules participent fortement à la régulation de l’expression de gènes qui sont très impliqués dans la longévité. Ces gènes-là augmentent par exemple la résistance des cellules au stress oxydatif, boostent leurs capacités antioxydantes, stimulent la réparation de l’ADN et des protéines abîmées, et enfin activent le suicide des cellules défaillantes. En bref, par l’intermédiaire de ces gènes, l’augmentation de l’activité des Sirtuins ralentit le vieillissement, augmentant ainsi la durée de vie et retardant la survenue de nombreuses maladies (cancers, obésité, maladies neurodégénératives…). Pour en revenir à la nutrition, il est désormais bien admis que la restriction calorique augmente justement l’activité de ces protéines. Les Sirtuins sont donc considérées par de nombreux chercheurs comme l’une des principales clés expliquant l’allongement de la durée de vie observée chez des animaux sous restriction calorique. Mais, il a aussi été montré que certaines Sirtuins avaient un effet protecteur sur la masse musculaire, en augmentant la survie des cellules musculaires. Par conséquent, alors que notre bon sens nous laisserait facilement imaginer qu’une restriction calorique prolongée entraînerait une diminution de la masse musculaire, puisqu’en absence de nutriments les cellules diminuent leur rythme de multiplication pour tenter de survivre, et bien, au contraire, la restriction calorique semble par l’intermédiaire des Sirtuins retarder ou prévenir la perte de masse musculaire liée au vieillissement. Ce phénomène a d’ailleurs pu être directement observé chez des souris et des singes. Chez l’homme, les observations sont évidemment plus indirectes : il a pour l’instant été rapporté une amélioration du rapport entre la masse musculaire et la masse grasse chez des volontaires ayant suivi une restriction calorique pendant plusieurs années. Mais ce n’est pas tout au sujet des Sirtuins : ces protéines interagissent assez directement avec l’IGF-1. De récents travaux ont en effet montré que des cellules musculaires soumises à des niveaux élevés d’IGF-1 sur une période prolongée présentaient de faibles taux de Sirtuins. Ceci avait pour conséquence, très logiquement, d’augmenter le vieillissement de ces cellules. Et a contrario, quand ces cellules subissaient des administrations très ponctuelles d’IGF-1, on retrouvait l’effet communément admis de ce facteur de croissance, à savoir une augmentation transitoire de la prolifération des cellules musculaires. Ainsi, du fait de son interaction avec les Sirtuins, les effets ponctuels et les effets à long terme de l’IGF-1 sur le muscle pourraient être diamétralement opposés. Un autre résultat intéressant est à souligner : lorsque l’on simule une inflammation chronique de faible intensité semblable à celle identifiée chez beaucoup de personnes âgées en injectant des molécules pro-inflammatoires appelées TNF-alpha, une injection d’IGF-1 augmente le rythme auquel les cellules musculaires meurent. En parallèle, on observe une augmentation de l’activité des Sirtuins, probablement dans le but de contrer l’effet délétère de l’IGF-1 et de sauvegarder la masse musculaire. Ceci se voit d’ailleurs confirmer par le fait que, si dans cette même expérience on inhibe l’activité des Sirtuins, la mort des cellules musculaires s’accélère encore plus. Pour résumer, un taux élevé d’IGF-1 ne serait pas nécessaire au maintien de la masse musculaire. Au contraire, une baisse de l’IGF-1 favoriserait l’activité de protéines ayant un effet protecteur sur le muscle, particulièrement les Sirtuins.
Enfin, un dernier élément de poids vient alimenter la discussion sur la contradiction apparente entre un faible taux d’IGF-1 favorisant la santé et la longévité, et un haut taux d’IGF-1 censé favoriser le développement musculaire. Il s’agit tout simplement de la remise en question du statut de l’IGF-1 comme principal facteur de croissance du muscle. Nous aurions pu commencer par là me diriez vous, mais la discussion aurait été moins riche… Un échange passionné de points de vue entre scientifiques spécialistes a récemment eu lieu à ce sujet dans Journal of Applied Physiology. Le titre était : l’IGF est-il le régulateur physiologique majeur de la masse musculaire ? Si tous les contributeurs ne partageaient pas exactement les mêmes avis, on peut tout de même se risquer à synthétiser leurs échanges en quelques phrases. D’abord il est essentiel de savoir qu’il est possible d’induire une augmentation du volume musculaire, phénomène appelé hypertrophie musculaire, sans augmentation du taux d’IGF-1. D’autre part, l’administration seule d’IGF-1 à des adultes sur une période prolongée n’a aucun effet sur le volume de leurs muscles et leur force. D’ailleurs, les géants présentent généralement des taux élevés d’IGF-1, mais un volume musculaire proportionnel à celui des personnes de taille normale. Notons également que l’administration d’IGF-1 ne suffit pas à éviter l’atrophie musculaire qui survient lors d’une immobilisation. Et, lors de la reprise de l’activité et de la restauration de la masse musculaire, il n’y a pas d’évolution concomitante du taux d’IGF-1 et de la synthèse des protéines musculaires. D’ailleurs, la production d’IGF-1 observée à la suite d’exercice musculaire n’est pas immédiate, tandis que le remaniement au sein du muscle commence dès la fin de l’exercice. Ainsi, la majorité des auteurs s’accordent à dire que le régulateur numéro 1 de la masse musculaire est tout simplement l’exercice physique en lui-même. En réalité, l’IGF-1 devrait probablement être plutôt considéré comme un amplificateur des effets de l’exercice musculaire. Et son rôle est plus important lorsque l’adaptation ou la régénération du muscle implique des cellules que l’on appelle cellules satellites. Ces cellules de soutien sont particulièrement impliquées lors de la guérison d’une blessure musculaire ou lors de la croissance des enfants. Certains chercheurs considèrent que l’IGF-1 joue bien un rôle central lors des périodes pré-natale et péri-natale, mais que ce n’est plus le cas à l’âge adulte, sauf peut-être en cas de blessure. Enfin, certains soulignent la double identité de l’IGF-1. En effet, une partie est produite par le muscle et agit comme facteur de croissance local, une autre partie est produite par le foie et agit comme une hormone circulant dans le sang et parvenant aux différents organes. Or, il est très probable que ces deux origines différentes de l’IGF-1 ne produisent pas les mêmes effets. Cette idée est corroborée par l’observation selon laquelle le blocage quasi-total de l’action de l’IGF-1 hépatique conduit à un développement musculaire tout à fait normal. En résumé, il ressort de cette discussion que, à l’âge adulte, l’IGF-1 ne joue clairement pas un rôle aussi important sur la croissance musculaire que celui qu’on lui attribue encore souvent.
Pour conclure de manière plus globale sur la question que voulions aborder dans l’ensemble de cet article, on peut décemment envisager l’hypothèse suivante : une production d’IGF-1 locale et ponctuelle par le muscle lui-même, particulièrement à la suite d’un exercice physique, s’inscrit dans un réseau complexe de facteurs contrôlant le développement la masse musculaire et favorisant la régénération du muscle ; tandis qu’une production élevée et prolongée d’IGF-1 par le foie, notamment à cause d’une alimentation riche en protéines animales, agit sur l’ensemble de l’organisme, favorisant le vieillissement et une mort prématurée par le développement de maladies telles que le cancer.
Source :
Sharples, Hughes, Deane, Saini, Selman, Stewart, 201, Longevity and skeletal muscle mass : the rôle of IGF signalling, the sirtuins, dietary restriction and protein intake)